Les films français d’après-guerre (1946 - 1958)


Les enfants du paradis

Le contexte historique et culturel
La reconstruction après la seconde Guerre mondiale

À la suite des destructions provoquées par la Seconde Guerre mondiale, la France doit se reconstruire tant sur le plan économique que culturel. L'industrie cinématographique a subi des préjudices considérables. De nombreux studios de tournage ont été détruits ou réquisitionnés durant l'occupation. Les équipements techniques étaient obsolètes ou difficilement accessibles. Les cinéastes font face à un manque de ressources financières et humaines pour produire des films.

La création du CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée) en 1946 avait pour objectif de soutenir le cinéma français. Cette institution, qui existe encore aujourd’hui, visait à structurer et financer la production cinématographique en France par le biais de subventions et de taxes sur les billets de cinéma. Le CNC a contribué au développement de l’industrie en encourageant la création de films mettant en avant la culture et les talents français.

La place du cinéma dans la société française
  • Un moyen de divertissement : Après la guerre, le public français cherchait des distractions et des récits permettant d'échapper à la réalité. Les salles de cinéma, abordables, sont devenues un lieu de rassemblement populaire.
  • Un vecteur d’identité nationale : Le cinéma français d’après-guerre a cherché à reconstruire une identité culturelle distincte. Il visait à offrir une alternative au cinéma américain dominant à l'époque, en mettant en avant des récits locaux, des valeurs françaises et des talents nationaux.
  • Une réflexion sur la guerre et ses conséquences : De nombreux films de cette période abordent de manière directe ou indirecte les traumatismes liés à la guerre, qu’il s’agisse des privations, des collaborations, ou des tensions politiques (exemple : Le Silence de la mer de Jean-Pierre Melville en 1949).
Les grands courants et mouvements cinématographiques

L'après-guerre est une période de transition pour le cinéma français, marquée par trois courants principaux : l’héritage du réalisme poétique, le « cinéma de qualité française » et les prémices de la Nouvelle Vague.

Le réalisme poétique : l’héritage d’avant-guerre

Bien que son apogée soit passée, le réalisme poétique, illustré par des cinéastes tels que Marcel Carné et Jean Renoir dans les années 1930, se distingue par :

  • Des récits mélancoliques : Les films abordent souvent des histoires d’amour tragiques ou des destins brisés, avec un regard poétique sur les réalités sociales.
  • Une esthétique soignée : Importance des éclairages contrastés, des décors stylisés et des atmosphères parfois oniriques.

Exemples de films marquants :

Les Enfants du paradis (1945) de Marcel Carné : Un chef-d'œuvre tourné en pleine Occupation, qui incarne à la fois la résilience du cinéma français et l’héritage du réalisme poétique.


La Belle et la Bête (1946) de Jean Cocteau : Une œuvre mêlant poésie et féerie, symbole de l’influence persistante d’un cinéma visuel et métaphorique.


Le « cinéma de qualité française »

Ce terme, souvent utilisé de manière péjorative par les critiques des Cahiers du cinéma, désigne un cinéma académique qui domine les années 1940 et 1950. Il se caractérise par :

  • Des adaptations littéraires prestigieuses : Le cinéma puise dans le répertoire classique français (Balzac, Zola, Gide) pour produire des films aux dialogues ciselés et aux intrigues solides.
  • Une mise en scène classique : Les films privilégient une réalisation soignée, mais souvent jugée sans audace ou innovation.
  • Un jeu d’acteurs théâtral : Les performances sont empreintes de gravité et de sophistication, correspondant aux exigences des récits littéraires.

Exemples de films marquants :

La Symphonie pastorale (1946) de Jean Delannoy : Adapté du roman d’André Gide, ce film illustre parfaitement cette tendance, avec une grande attention portée aux dialogues et à l’interprétation des acteurs.


Monsieur Vincent (1947) de Maurice Cloche : Ce biopic sur Saint Vincent de Paul remporta un grand succès, notamment grâce à sa portée éducative et morale.


Les prémices de la Nouvelle Vague

Au cours des années 1950, une génération de jeunes cinéastes et critiques commence à contester les normes établies du « cinéma de qualité française ». Cette période se distingue par l’apparition de films innovants qui, tout en respectant certaines traditions, intègrent des approches plus audacieuses :

  • Des histoires contemporaines : Les récits s’éloignent des adaptations historiques pour se concentrer sur des problématiques modernes et des personnages ordinaires.
  • Des innovations stylistiques : Certains réalisateurs expérimentent avec la narration, les cadrages et l’utilisation des décors naturels.

Exemples de films annonciateurs :

Le Salaire de la peur (1953) d’Henri-Georges Clouzot : Ce thriller tendu et pessimiste est une critique indirecte du capitalisme et des rapports de pouvoir, marquant une rupture avec les récits académiques.


Ascenseur pour l’échafaud (1958) de Louis Malle : Avec sa bande-son de Miles Davis et ses cadrages modernes, ce film ouvre la voie à une esthétique nouvelle.


Les Cousins (1959) de Claude Chabrol : Un des premiers films considérés comme appartenant pleinement à la Nouvelle Vague.


Le film noir et le cinéma de genre

Un autre aspect majeur du cinéma d’après-guerre est l’influence croissante des genres cinématographiques, notamment le film noir. Inspiré par le cinéma américain, le film noir français développe ses propres spécificités :

  • Des récits sombres : Ces films mettent en scène des personnages ambigus, souvent pris dans des situations désespérées.
  • Une atmosphère pesante : L’utilisation de jeux d’ombres et de lumières accentue le suspense et le malaise.
  • Une critique sociale sous-jacente : Les films noirs français de cette époque explorent les désillusions de la société d’après-guerre.

Exemples de films marquants :

Le Corbeau (1943) d’Henri-Georges Clouzot, bien qu’antérieur à 1945, reste une œuvre fondatrice pour le genre.


Les Diaboliques (1955) d’Henri-Georges Clouzot : Un thriller psychologique acclamé pour son suspense et sa complexité narrative.


La comédie et le burlesque

Dans une période marquée par les traumatismes de la guerre, la comédie joue un rôle crucial en offrant une échappatoire au public :

  • Des comédies sociales : Elles mettent en lumière les transformations de la société française, souvent avec un regard critique.
  • Le burlesque moderne : Jacques Tati révolutionne le genre en proposant des films où l’humour visuel et les détails sonores remplacent les dialogues.

Exemples de films marquants :

Jour de fête (1949) et Les Vacances de Monsieur Hulot (1953) de Jacques Tati : Ces œuvres offrent une critique subtile de la modernité et de la vie quotidienne, tout en restant accessibles et drôles.


Conclusion

Après la guerre, les courants cinématographiques en France montrent un conflit entre tradition et modernité. Certains réalisateurs restent fidèles aux styles classiques, tandis que d'autres initient un renouveau qui mènera à la Nouvelle Vague. Ce dynamisme illustre la diversité du cinéma français de l'époque.