La genèse d’Evil Dead — Quand Sam Raimi vend son âme (et un rein) pour le cinéma
Les débuts : Sam Raimi et les copains du Michigan.
Tout commence dans la banlieue de Royal Oak, Michigan, dans les années 70. Sam Raimi, encore adolescent, tourne des courts-métrages en Super 8 avec ses amis d’enfance, Bruce Campbell et Robert Tapert. Ils ont une bande baptisée “The Renaissance Pictures” (un nom qu’ils garderont plus tard pour leur société de production). Raimi est un fan absolu de comédies burlesques (Three Stooges, Buster Keaton), de films d’horreur et de comics. Il adore tordre la caméra, expérimenter, et faire du spectaculaire sans budget.
À la fac, il tourne un court métrage d’horreur intitulé Within the Woods (1978) : 32 minutes, 1600 dollars, Bruce Campbell déjà à l’affiche, et un scénario proto-Evil Dead. L’objectif : convaincre des investisseurs locaux de financer un long métrage d’épouvante. Le court est projeté dans des salles du coin en première partie de films d’horreur, et remporte un petit succès. Raimi et Tapert se servent de la bande comme outil de démarchage : un “proof of concept” avant l’heure.
La chasse au financement : du démarchage maison à la persévérance démoniaque.
Le trio va ensuite frapper à toutes les portes. Raimi et Tapert vont littéralement de maison en maison, montrant Within the Woods sur un projecteur portable à des commerçants, des médecins, des avocats… Ils vendent le projet comme une opportunité d’investissement local dans “un film d’horreur commercialisable”. Résultat : ils réunissent environ 90 000 dollars, parfois en promettant des parts de bénéfices à des particuliers qui n’avaient jamais investi un cent dans le cinéma.
Les producteurs improvisés s’inspirent des Texas Chainsaw Massacre ou Last House on the Left, des films indépendants devenus rentables. Le pari : faire “le film le plus effrayant jamais tourné”.
🎞️ Bande-annonce du film Evil Dead
Le tournage : enfer dans les bois
Le tournage commence fin 1979, dans une véritable cabane isolée dans le Tennessee, à Morristown. Le lieu n’a ni chauffage, ni eau courante, et tout est filmé en conditions réelles. L’équipe, composée d’amis et de quelques acteurs semi-professionnels, dort sur place dans le froid, entourée de fumée de machine et de faux sang collant.
Les conditions sont apocalyptiques :
- Les nuits sont glaciales, les acteurs tombent malades.
- Les prothèses en latex tiennent mal, les lentilles oculaires sont rigides et douloureuses.
- Les effets gore sont improvisés : pâte à modeler, café, lait, sirop de maïs, et même viande avariée pour les odeurs “authentiques”.
- Raimi invente la fameuse “caméra démoniaque”, fixée sur une planche portée à bout de bras ou montée sur un vélo pour créer ces travellings fous à ras du sol.
La post-production : bricolage, censure et coup de pouce du destin
Raimi et Tapert cherchent un distributeur, mais le film est jugé trop violent et “amateur”. Ils trouvent finalement un allié : Irvin Shapiro, distributeur de films d’art et d’horreur (il avait aidé à lancer La Nuit des morts-vivants). C’est lui qui suggère le titre “The Evil Dead” (le film s’appelait au départ Book of the Dead). Le montage final est terminé en 1981, avec une musique atmosphérique de Joe LoDuca, un autre ami d’université.
Le film est présenté au Festival de Cannes 1982, dans la section du marché du film. Et là, coup de théâtre : Stephen King, présent sur place, le découvre… et publie une critique dithyrambique dans Twilight Zone Magazine, où il parle de “the most ferociously original horror film of the year”. Cette phrase deviendra la tagline officielle du film. Grâce à King, Evil Dead est distribué au Royaume-Uni, puis en Europe, où il devient un phénomène culte.
Les polémiques : censure et “video nasty”
Le film choque par sa violence graphique et son ambiance malsaine. Au Royaume-Uni, il est classé dans les fameuses “Video Nasties”, ces cassettes interdites pour cause d’excès de gore (avec Cannibal Holocaust et Driller Killer). Résultat : le film gagne encore plus en notoriété. En France, il sera distribué plus discrètement, mais deviendra une légende de vidéoclub dans les années 80.
Evil Dead II (1987) – Le délire burlesque
Six ans plus tard, Raimi et son acteur fétiche Bruce Campbell remettent le couvert. Mais cette fois, ils injectent une bonne dose de comédie cartoonesque dans la formule. Evil Dead II n’est pas vraiment une suite, mais plutôt un remake/reboot farfelu du premier épisode : Ash et sa compagne retournent dans la cabane, le Necronomicon est relu, et tout part en vrille… mais cette fois, les possessions démoniaques se mêlent à un humour slapstick à la Tex Avery.
Ash devient un héros malgré lui, tronçonneuse greffée au bras et fusil scié à la main, affrontant des hordes de démons dans une mise en scène virtuose : travellings impossibles, caméra tourbillonnante, maquillages grotesques, geysers de sang vert fluo. Le film invente un ton inédit : l’horreur burlesque.
🎞️ Bande-annonce du film Evil Dead II
Army of Darkness (1992) – Horreur médiévale et série B déchaînée
Troisième volet, L’Armée des ténèbres (Army of Darkness) change radicalement de décor : Ash est projeté au Moyen Âge, armé de sa tronçonneuse et de son humour ravageur. Raimi propose un pastiche d’heroic fantasy avec des squelettes animés façon Ray Harryhausen et des répliques mémorables comme « Hail to the king, baby! » et un ton pulp assumé. C’est une parodie épique où Bruce Campbell devient une icône pop, mélange de Conan, de Bugs Bunny et de Clint Eastwood. Le film ne cartonne pas en salles, mais devient culte en vidéo, clôturant la trilogie sur une note délirante et légendaire.
🎞️ Bande-annonce du film l’Armée des ténèbres
Sam Raimi – Le magicien du mouvement
Avant Spider-Man, Sam Raimi, c’est ce gamin qui bouge sa caméra comme un démon possédé. Son style ? Des travellings à ras du sol, des zooms fulgurants, un montage frénétique et un humour noir très visuel. Après Evil Dead, il signe Darkman (1990), un super-héros gothique avant l’heure, puis la trilogie Spider-Man (2002-2007), où son sens du mouvement explose dans les scènes d’action. Raimi reste un réalisateur de sensations : il aime que le spectateur ressente physiquement la peur, le choc, le rire. Et même quand il revient à l’horreur (Drag Me to Hell, Doctor Strange in the Multiverse of Madness), il y injecte son ADN : caméra virevoltante et humour macabre.
Bruce Campbell – L’acteur culte au menton d’acier
Impossible d’évoquer Evil Dead sans Bruce Campbell, ami d’enfance de Raimi et alter ego devant la caméra. Son jeu outrancier, sa gestuelle élastique et son sens du second degré font de lui une icône geek avant l’heure. Campbell incarne Ash avec un mélange d’héroïsme et de ridicule assumé : il hurle, il saigne, il se bat contre sa propre main possédée, et balance des punchlines mémorables. Depuis, il s’est mué en légende vivante du cinéma de genre, notamment avec la série Ash vs Evil Dead (2015-2018).
💡 Le saviez-vous ?
Héritage et influence
La trilogie Evil Dead a marqué l’histoire du cinéma d’horreur : elle a inspiré des générations de cinéastes (Peter Jackson, Edgar Wright, Robert Rodriguez) et relancé le goût du gore créatif. Elle a aussi prouvé qu’avec de l’énergie, de l’audace et un peu de folie, on pouvait transformer un film d’étudiant en mythe mondial. Remakes, séries, jeux vidéo, comics, et Evil Dead Rise (2023) continuent de perpétuer la malédiction du Necronomicon — preuve que le démon n’a pas fini de posséder nos écrans.