Introduction — Aux origines du néoréalisme : une école, une rupture, un mot
Au début des années 1930, l’Italie fasciste cherche à faire briller son prestige culturel. Elle fonde alors le Centro Sperimentale di Cinematografia, une école de cinéma ultramoderne — la première du pays — destinée à former des réalisateurs, scénaristes, monteurs et techniciens. Ironie de l’histoire : c’est dans ce lieu pensé comme un outil de propagande que vont éclore, quelques années plus tard, les esprits qui donneront naissance au cinéma le plus anti-propagandiste qui soit.
Au Centro Sperimentale, de jeunes cinéastes comme Roberto Rossellini, Luchino Visconti, ou encore les futurs collaborateurs de De Sica, découvrent à la fois la grammaire du cinéma et… les limites imposées par le régime. Car depuis les années 1920, le fascisme contrôle la production : héros exemplaires, récits propres, aucune misère à l’écran. Bref : un cinéma qui doit raconter un pays fort et uni, pas un pays qui souffre.
À partir de la fin des années 1930, une fracture se creuse : de nombreux historiens, critiques et intellectuels rejettent cette vision aseptisée. Dans les revues Cinema, Bianco e Nero ou Film, certains jeunes critiques — dont un certain Vittorio Mussolini au début, puis surtout des penseurs comme Umberto Barbaro, Mario Alicata, Giuseppe De Santis — commencent à promouvoir un cinéma plus proche de la réalité, inspiré de la photographie humaniste et même, à distance, du cinéma documentaire soviétique.
C’est justement Umberto Barbaro, critique et professeur au Centro Sperimentale, qui utilise en 1942 l’expression « néoréalisme » pour qualifier une nouvelle tendance du cinéma italien encore embryonnaire : des films moins décoratifs, plus ancrés dans le social, tournés au plus près des gens ordinaires. L’expression, d’abord théorique, prendra tout son sens après la chute du fascisme, lorsque Rossellini, Visconti ou De Sica mettront en pratique cette idée : filmer la réalité sans maquillage.
Ainsi, le néoréalisme ne naît pas seulement dans les ruines de l’après-guerre : il naît aussi dans les salles de classe du Centro Sperimentale, dans les articles de critiques en rupture avec le régime, et dans une volonté commune de faire tomber les murs entre cinéma et vérité.
Le devoir de résistance — Quand le cinéma devient un acte moral
À la fin des années 1930 et au début des années 1940, l’Italie est encore sous contrôle fasciste. Le cinéma, comme tout le reste, doit servir la « bonne image » du régime : familles parfaites, soldats courageux, mythes nationaux, victoires imaginaires. La misère, l’injustice, les inégalités ? Interdites d’écran. Les studios Cinecittà deviennent une vitrine politique, pas un laboratoire artistique.
Mais dans les coulisses, une autre dynamique se met en place.
🎓 1. Une résistance intellectuelle discrète mais déterminée
Au Centro Sperimentale, certains enseignants et critiques refusent de se plier au cinéma-propagande. Ils ne peuvent pas protester ouvertement — le régime ne plaisante pas — mais ils développent une forme de résistance culturelle, subtile, presque clandestine :
- Ils analysent le cinéma soviétique, jugé subversif par les autorités.
- Ils valorisent les formes documentaires, jugées trop « brutes » pour la propagande fasciste.
- Ils encouragent les étudiants à observer la réalité sociale plutôt qu’à la fuir.
- Ils contestent, dans leurs écrits, le cinéma pavé de bons sentiments voulu par le régime.
Parmi eux, Umberto Barbaro, Giuseppe De Santis, Mario Alicata… tous convaincus d’une chose : un cinéma qui ment au public n’est pas un cinéma digne. C’est cette idée morale, presque éthique, qui ouvre la voie au néoréalisme.
🎭 2. Une résistance artistique : dire « non » par les images
Filmer, dans ce contexte, devient un choix politique. Pas forcément un acte héroïque — mais un geste de vérité, qui va à rebours des mensonges officiels.
Ne pouvant affronter directement le pouvoir, les jeunes cinéastes adoptent une stratégie : filmer ce que le régime refuse de voir.
- les quartiers pauvres,
- les ruines,
- les ouvriers,
- les contradictions d’un pays fracturé.
Ils se disent :
“ Si on ne peut pas changer la réalité tout de suite, au moins on peut la montrer. ”C’est déjà un acte de résistance.
🔥 3. Après 1943 : le basculement, la résistance ouverte
Lorsque le régime s’effondre et que l’Italie entre dans une phase de chaos (occupation allemande, guerre civile, résistance armée), les cinéastes passent d’une résistance culturelle à une résistance directe.
Rossellini en est l’exemple le plus éclatant : il filme Rome, ville ouverte en 1945 alors que la ville vient tout juste d’être libérée. Acteurs, techniciens, habitants participent ; certains ont combattu dans la Résistance. Le film devient un manifeste moral : filmer la souffrance, la lutte, la mort, mais aussi la solidarité.
Ce n’est plus seulement de l’art.
C’est du cinéma comme témoignage, un devoir de mémoire immédiat.
Le devoir de résistance : une idée fondatrice du mouvement
Le néoréalisme naît donc d’une conviction partagée : le cinéma doit dire la vérité, même quand elle dérange. Et parfois, dire la vérité c’est résister.
Ce devoir de résistance s’exprime :
- contre la propagande et ses illusions,
- contre le mensonge politique,
- et parfois… contre les habitudes du cinéma lui-même.
Le néoréalisme n’est pas seulement une esthétique. C’est une philosophie : filmer l’humain honnêtement est un acte moral.
« Montrer la réalité, c’était déjà s’opposer. Tendre une caméra vers les oubliés du pays, c’était un geste de résistance. »
Trois films pour entrer dans le mouvement
Rome, ville ouverte (Rossellini, 1945)
Tourné dans l’urgence, avec des rues encore marquées par la guerre. Un choc pour le public, un cri de vérité.
Le Voleur de bicyclette (De Sica, 1948)
Un père cherche sa bicyclette volée, essentielle pour travailler. Un des films les plus émouvants du cinéma mondial.
Umberto D. (De Sica, 1952)
Portrait bouleversant d’un retraité oublié. Un film simple, dépouillé… et pourtant immense.
FAQ – Néoréalisme italien
Quelques réponses rapides pour mieux comprendre le néoréalisme italien, son histoire et ses films incontournables.
Article rédigé par Le Cinoche de Fred