A l’occasion de la sortie de son nouveau film Priscilla, la Cinémathèque a proposé une rétrospective des films de la cinéaste Sofia Coppola. Ici, je parlerai du film Marie-Antoinette projeté le 12 décembre 2023 en copie 35mm suivi d’une leçon de cinéma en présence de Sofia Coppola.
Marie-Antoinette quitte Vienne pour Versailles afin d'épouser le Dauphin de France, le futur Louis XVI. Le mariage est célébré mais à Versailles, la princesse s'ennuie.
Marie-Antoinette sorti en 2006 est le troisième long-métrage réalisé par Sofia Coppola après Virgin Suicides (1999) et Lost in Translation (2003). Le film mettant en scène l’actrice Kirsten Dunst dans le rôle phare est inspiré de la biographie Marie-Antoinette d'Antonia Fraser.
Tourné en partie dans le château de Versailles, le film est le plus coûteux de la cinéaste avec un budget avoisinant les 40 millions de dollars (la réalisatrice a pu le réaliser en partie grâce au succès de ses deux précédents films). Sofia Coppola fait appel à la talentueuse costumière italienne Milena Canonero, qui a travaillé sur les films des réalisateurs suivants ; Alan Parker, Francis Ford Coppola, Steven Soderbergh, Wes Anderson mais surtout sur Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Le film obtiendra l’oscar de la meilleure conception de costumes.
Doté d’un casting XXL, une bande son mélangeant musique du XVIIIème siècle et pop rock des années 1980, volontairement anachronique, Marie-Antoinette n’est cependant pas à considérer comme un film historique. En effet, dès le premier plan, avec le regard caméra d’une Kirsten Dunst allongée, la réalisatrice annonce la couleur et va nous montrer un personnage historique dont tout le monde peut avoir une vision avec un décalage. Et c’est ce décalage (inspiré entre autres de Lisztomania de Ken Russell) qui va créer l’originalité et la subtilité du film.
Marie-Antoinette adolescente d’une autre époque : Sofia Coppola met en scène un film volontairement anachronique allant de la bande originale pop rock new wave et post-punk (Bow Wow Wow, The Cure, New Odrer, The Strokes...) jusqu’à la paire de converses et les macarons Ladurée, où Marie-Antoinette demeure une adolescente prisonnière de son époque et où les protagonistes sont infantilisés, souvent immatures. A cela s’ajoutent les gros plans, les plans rapprochés sur les corps et les visages venant à contre-courant des films d’époques en costumes habituellement filmés comme des tableaux avec des plans très larges. De plus, les couleurs très vives tirant sur le rose et la lumière naturelle, vont encore une fois à l’encontre des codes traditionnels du genre. Ces plans nous font ressentir l’absurdité et le climat anxiogène de la royauté à travers l’unique point de vue, les jeux de regards mélancoliques de Marie-Antoinette où le choix n’est même pas une option et où le bonheur semble illusoire : la solitude, l’ennui d’un personnage constamment utilisé par son entourage mais jamais compris. Cependant, la force du personnage demeure dans sa non-passivité. En effet, la jeune femme essaye de se libérer de la prison dorée qu’est Versailles où tout demeure figé en allant au petit Trianon, à l’opéra ainsi qu’aux soirées costumées, seules échappatoires.
Ces choix font de Marie-Antoinette un biopic original et dépoussiéré, un contre film d’époque où la réalisatrice privilégie la psyché de sa protagoniste (admirablement interprétée par Kirsten Dunst) plutôt que les enjeux historiques.
Yazbek Alexandre ; Source : wikipedia_Marie-Antoinette_(film,_2006)Après la projection du film, une leçon de cinéma avec Sofia Coppola animée par le directeur de la Cinémathèque française Frédéric Bonnaud a été organisée. Ce fut l’occasion de revenir sur le travail et la carrière d’une grande cinéaste américaine contemporaine de ces 25 dernières années.
La filmographie de la cinéaste est dense mais on trouve des thèmes récurrents et des similitudes dans ses films ; des portraits de jeunes femmes, la solitude, l’imaginaire à travers le point de vue d’un seul personnage, celui des garçons dans Virgin Suicides, celui de Marie-Antoinette et celui de Priscilla. Cette réelle introspection (qui permet aussi à Sofia Coppola en tant que cinéaste de savoir comment placer les caméras) prend parfois plus de place que le récit en lui- même et ce qui se joue à l’extérieur. Pour y parvenir, la réalisatrice filme principalement des lieux clos allant de la banlieue huppée américaine des années 1970 dans son premier long- métrage Virgin Suicides au Park Hyatt Tokyo dans Lost in Translation, à Versailles évidemment dans Marie-Antoinette ou encore Graceland dans Priscilla. Tous ces endroits qui font rêver au premier abord ne sont jamais idylliques une fois qu’un personnage y est plongé, ce ne sont que des mirages et ne résolvent pas les conflits intérieurs et les problèmes humains mais au contraire, ils emprisonnent, étouffent et rendent encore plus seules les protagonistes.
De plus, les silences sont très importants dans sa composition, exprimer les émotions par les regards, les gestes et le non-verbal pour ancrer ses personnages peu bavards dans sa réalité et les rendre identifiables. La cinéaste a évoqué le directeur de la photographie Harris Savides avec qui elle a travaillé sur Somewhere et The Bling Ring disant qu’il lui a montré une nouvelle approche plus « Européenne » de voir les choses. Sa devise était de toujours faire épuré et simple, ce qui explique le minimalisme des deux films cités.
Comparaison entre Priscilla et Marie-Antoinette : Comme l’a très justement remarqué Frédéric Bonnaud, il existe des liens forts entre les deux films et ses personnages féminins qui pourraient être des « sœurs » dans une autre dimension. En effet, Priscilla et Marie-Antoinette sont deux jeunes filles ayant quasiment le même âge, qui quittent leurs familles pour devenir « femmes » mais au final une fois la relation enclenchée se retrouvent étouffées dans des prisons dorées aux côtés d’hommes immatures (relation toxique pour Priscilla) au sein société trop contrôlée pour s’évader. On peut ajouter le fait que tout le monde peut avoir une idée d’Elvis Presley et de Marie-Antoinette ainsi, Sofia Coppola décide de montrer un autre point de vue, un angle différent, un décalage.
Yazbek Alexandre ; La leçon de cinéma est entièrement disponible sur le site de la cinémathèque avec le lien suivant : https://www.cinematheque.fr/video/2111.html